« Mon mari m’a violé », une phrase qui semble bizarre, étrange voire comique dans une société où on attribue à la femme le devoir de coucher ‘’avec’’ son mari et au mari le droit de disposer du corps de sa femme
Dans une société où les relations sexuelles sont considérées comme un devoir conjugal pour l’épouse et un droit pour le mari, un droit qui lui permettre de porter plainte contre son épouse si elle se refuse à lui.
Si la Tunisie a connu des innovations importantes en matière de statut personnel et surtout dans le droit de la famille notamment en ce qui concerne les relations entre homme et femme, cette évolution par rapport aux pays qui relèvent de la sphère arabo-musulmane et à certains des pays européens, n’est pas suffisante pour assurer à la femme en générale et à l’épouse en particulier une protection totale et une égalité complète avec son conjoint.
Certaines législations ont explicitement introduit le viol conjugal telles que l’article 278 du code pénal canadien et la loi de 1980 en France qui l’a considéré comme un crime passible de 15 ans prison ferme, d’autres ont cependant opté à exclure le viol des relations sexuelles entre époux, autrement dit il n’est pas admis de considérer une activité sexuelle entre mari et épouse comme étant viol peu importe ses circonstances tel que le droit Soudanais.
En Tunisie, en examinant le code de statut personnel qui régit ces relations, on remarque que ce dernier a réglementé le lien matrimonial dans les pluparts de ses aspects mais on remarque aussi l’absence du terme viol conjugal, ce qui fait qu’il est indispensable de revenir aux textes généraux pour comprendre ce crime et exposer en second instant les différentes positions de la doctrine et de la jurisprudence.
Le code pénal tunisien a défini le viol comme tel « Est considéré viol, tout acte de pénétration sexuelle, quelle que soit sa nature, et le moyen utilisé commis sur une personne de sexe féminin ou masculin sans son consentement l’auteur du viol est puni de vingt ans d’emprisonnement. »
Il est clair que cette disposition est générale dans tout les sens, de part les faits mais aussi en ce qui concerne les parties du crime ; le violeur ainsi que la victime.
En effet selon cet article pour qualifier le fait de viol et donc la punition de 20 ans d’emprisonnement, il faut qu’il y ait un acte de pénétration peu importe sa nature (pénétration vaginale, anale (sodomie), orale) et le moyen utilisé (par la main ou par objets…)
Cet acte est subi par une personne sans son consentement, ici on rappelle que le terme personne est venu dans l’absolu autrement dit la relation qu’entretient la victime avec son violeur n’influence point la qualification des faits et on rappelle surtout ce qu’on entend par consentement l’action de donner son accord à une action, à un projet ; acquiescement, approbation, assentiment[1]
Dans notre contexte, le consentement et plus précisément le consentement sexuel est quand une personne accepte ou est d’accord de faire une activité sexuelle. Si la personne refuse, il n’y a pas de consentement.
Il y a un consentement quand le choix est personnel, libre et volontaire et pour cela il faut vérifier la réunion de certaines conditions du consentement
Le consentement doit être :
Donné librement : le consentement sexuel doit être l’expression d’un choix libre et volontaire pour toutes les personnes concernées. Ne pas s’exprimer ou ne pas dire « non » ne signifie pas donner son consentement. Les personnes inconscientes ou sous l’emprise de l’alcool ou de drogues ne peuvent pas donner leur consentement. Une relation sexuelle n’est pas consentie si elle a lieu sous la contrainte ou la menace. D’autres situations peuvent empêcher une personne de donner son consentement librement, par exemple si elle n’a pas la capacité mentale de consentir ou si elle est mineure.
Éclairé : une relation sexuelle n’est pas consentie si l’une des personnes ment ou dissimule délibérément certaines intentions, par exemple si elle prévoit un rapport non protégé. Forcer une personne trop ivre pour refuser une relation sexuelle à accepter certaines pratiques n’équivaut pas à l’obtention d’un consentement.
Spécifique : consentir à une chose (par exemple à des baisers) n’implique pas un consentement à aller plus loin. Voici la règle à suivre : en cas de doute, arrêter et poser la question. Et si le doute persiste, arrêter.
Réversible : donner son consentement une fois ne signifie pas donner son consentement pour toutes les fois suivantes. Même au milieu d’une relation sexuelle, une personne devrait être libre de s’interrompre ou de s’arrêter à tout moment et de retirer son consentement.
Enthousiaste : la question n’est pas de savoir si une personne dit « non », mais si elle dit « oui » ou donne activement son consentement, de diverses manières, verbales ou non.[2]
Il est à noter que Le consentement n’est pas un contrat ! C’est de la communication qui permet de s’assurer que chaque activité sexuelle se déroule avec le consentement de toutes les personnes concernées.
Donc un contrat de mariage ne doit jamais être interprété en tant que consentement permanent des rapports sexuels
Si le consentement est inexistant ou s’il est vicié, on parle désormais d’un viol.
La généralité des termes employés dans cet article n’a pas empêché une partie de la doctrine de nier l’existence du crime de viol au sein de la relation conjugale, cette position trouve son fondement principalement dans l’article 23 du code de statut personnel qui définit les devoirs des époux comme suit « Les deux époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume. »
Le terme ‘’usages et coutumes’’ est très ambigüe ce qui a laissé la porte ouverte à des interprétations basées sur le droit musulman qui a régi pendant longtemps les relations familiales et qui a considéré explicitement la relation sexuelle comme un devoir porté à l’épouse.
Dans ce sens, on cite l’arrêt de la Cour de cassation civile n°24219 du 13/01/1990 où la jurisprudence a adopté cette position en soulignant qu’ Il est indiscutable qu’en droit, en pratique mais aussi en religion que la relation sexuelle est l’objectif principal du mariage et l’un des devoirs les plus importants et que c’est le pilier même du mariage.
Ce courant voit dans le contrat du mariage un pont pour avoir des enfants et donc un consentement permanent aux rapports sexuels.
D’autres affirment que le terme mari et violeur ne peuvent en aucun cas être réunis vu qu’en se liant à sa femme, le mari exerce son droit légitime, et que l’article 227 code pénal protège l’honneur et pas le consentement de la femme selon Nouredine BEN BRIK l’absence du consentement est pris en considération seulement pour limiter les cas où on accepte le crime même.
D’autres part, selon une partie de la doctrine contemporaine cette interprétation met la femme en générale et l’épouse en particulier dans une place inférieure et viole son intégrité physique et sa liberté sexuelle.
Ce point de vue est soutenu non seulement par la formulation générale de l’article 227 code pénale mais surtout par la promulgation de la loi organique n°58 du 1 août 2017, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Cette loi a renforcé des droits déjà existants comme la punition de la violence qui est devenue plus lourde lorsque ce fait est commis par un des proches de la victime, si cette loi n’a pas réglementé le viol conjugal expressément, elle a tout de même préciser ce qu’on entend par violence sexuelle dans l’alinéa 6 du 4ème article « Tout acte ou parole dont l’auteur vise à soumettre la femme à ses propres désirs sexuels ou aux désirs sexuels d’autrui, au moyen de la contrainte, du dol, de la pression ou autres moyens, de nature à affaiblir ou porter atteinte à la volonté, et ce, indépendamment de la relation de l’auteur avec la victime »
Il est clair que cette définition est beaucoup plus précise en ce qui concerne la victime et sa relation avec son violeur en soulignant que sa relation avec ce dernier importe peu.
Ajoutons à ce qui précède les principes et libertés établis par la constitution de 2014 ainsi que l’évolution même de la notion ‘’ usages et coutumes ‘’ en l’interprétant à la lumière du 1er alinéa de l’article 23 qui insiste sur le fait que « Chacun des deux époux doit traiter son conjoint avec bienveillance, vivre en bon rapport avec lui et éviter de lui porter préjudice » font que la femme est en mesure de dénoncer tout activité sexuelle forcée par son mari sous le couvert de devoir acquis par le contrat de mariage.
La jurisprudence tunisienne semble pauvre dans ce type de plainte et cela s’explique par des raisons législative telle que l’absence d’une prohibition claire et stricte ce qui a entrainé l’ignorance de ce droit par les épouses mais aussi par le fait qu’une épouse violée par son mari aura du mal à trouver un soutien même au sein de sa propre famille, qui ne comprend pas, la plupart du temps, qu’elle puisse parler de viol alors qu’il s’agit de son époux, faisant peu de cas de sa liberté individuelle.
LENGLIZ Yasmine
Etudiante chercheuse en Droit privé
[1] Larousse
[2] Amnesty international
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